Le syndrome de privation
Les chiens qui sont atteints du syndrome de privation :
-ne peuvent pas gérer certains stimuli de l’environnement (ils en ont peur) ;
-ont vécu une période de socialisation dans un milieu appauvri (hypo stimulant).
Pourquoi « syndrome de privation » ? Parce que les chiots ont été privés d’informations capitales au bon développement de leur ordinateur cérébral. Ils ont des déficits structurels dans l’organisation de l’information et de leurs réactions émotionnelles.
Ces chiots peuvent exprimer différents degrés d’invalidité qui vont de la simple phobie, à l’anxiété ou à la dépression.
La phobie
La phobie est une réaction ponctuelle de crainte ou de peur d’un stimulus bien défini, réel, mais qui s’est révélé à l’animal comme étant sans danger réel. Par exemple, les pétards, les feux d’artifice, les gens, les engins motorisés, etc.
Il est normal pour un chiot qui n’a jamais rencontré de vélomoteur pétaradant de s’en éloigner ou de trouver réconfort près d’un individu aimé (sa mère, ses propriétaires). Si la première confrontation se fait dehors, par beau temps, sur un grand terrain et que le vélomoteur n’attaque pas le chiot, celui-ci s’en approchera progressivement, surtout s’il imite sa mère ou les amis humains. L’exploration lui permettra de réaliser que le cyclomoteur, même bruyant, est sans danger. Il y a phobie lorsque cet apprentissage ne se fait pas.
Le chien qui a peur va exprimer :
-une réaction émotionnelle,
-une posture particulière,
-un comportement distinctif.
La réaction émotionnelle est analogue à celle que vous pouvez ressentir lors de vos propres angoisses. Le cœur bat la chamade, la respiration s’accélère et devient laborieuse, on transpire… bref, on se sent mal. Ces sensations sont liées à la libération d’adrénaline et de nombreux autres transmetteurs chimiques de l’émotion.
Le chien peureux utilise trois stratégies comportementales :
-la fuite,
-l’immobilisation,
-l’attaque pour maintenir le stimulus à distance.
Les phobies dans le syndrome de privation
Dans le syndrome de privation, les phobies les plus fréquentes sont :
-certains types d’humains : hommes, enfants en bas âge, personnes avec un handicap moteur et, de façon beaucoup moins fréquente, les femmes :
-les humains étrangers au groupe familial ;
-les bruits urbains, particulièrement ceux des voitures, camions, vélomoteurs et engins motorisés inhabituels (camion des éboueurs) ;
-les bruits d’explosion, comme les pétards, les coups de feu, les feux d’artifice, l’orage ;
-les chiens de conformation très différente.
Comment traiter
Approche pragmatique dont voici les principes :
-redonner au chien un état de bien-être à l’aide de médicaments ;
-améliorer les performances éducatives et l’adaptation au milieu ;
-réduire les nuisances qu’il peut provoquer dans la famille ou en société ;
-supprimer les solutions spontanées qui aggravent le problème ;
-encourager les solutions spontanées qui améliorent la situation ;
-réduire l’invalidité du chien.
Cela prendra-t-il un mois, trois mois, six mois ?
Tous ces critères font que la stratégie de traitement varie d’un chien à l’autre et d’une famille à l’autre. Et le traitement est double : on traite à la fois l’animal et son milieu.
L’usage des médicaments
Quand je le juge nécessaire, je recours à l’utilisation de médicaments. Le médicament est indiqué pour accélérer la guérison et pour faciliter les apprentissages. Il n’est nullement question ici de médicaments sédatifs qui « droguent » le chien. Tous les traitements médicamenteux seront pertinents. L’homéopathie est très efficace, quand elle est prescrite de façon appropriée.
En médecine classique, les médicaments ont fait de tels progrès que je n’hésite plus à les prescrire même à des chiots de 3 mois. C’est bien entendu le rôle du vétérinaire de les prescrire en fonction des symptômes de l’animal et des buts à atteindre.
Les thérapies
Si la médication engendre parfois des améliorations spectaculaires et rapides, c’est à la thérapie d’assurer la stabilisation. Pas de traitement sans thérapie.
L’habituation
La première thérapie et la plus simple est l’habituation.
L’habituation est la diminution de réaction comportementale devant un stimulus présenté de façon répétitive à même intensité.
C’est un processus normal. Il ne demande aucune connaissance scientifique, aucune technique. Il suffit d’empêcher le chien de fuir et de le laisser être exposé au stimulus sans interaction.
L’immersion contrôlée
L’immersion n’est rien d’autre qu’une habituation de longue durée en présence d’un stimulus, jusqu’à ce que la réaction émotionnelle et comportementale du jeune chien soit réduite, jusqu’à ce qu’il se détende et s’apaise.
Elle est contrôlée parce que 1) le chien est généralement sous médication, ce qui le rend moins sensible au stimulus et 2) parce que le stimulus est géré et contrôlé afin qu’il ne soit à aucune moment agressant.
La réaction d’émotion, la crainte, la peur, le rythme cardiaque, la tension interne….tous ces paramètres augmentent d’abord en présence du stimulus.
Prenons comme exemple un chiot de 4 mois qui a peur des hommes. En présence d’un homme, le chiot a peur. Sa réaction émotionnelle augmente et il met en place les comportements qui vont réduire cet état de tension désagréable. Il fuit et augmente ainsi la distance entre lui et l’homme. Dès lors, il se sent mieux. Il a donc appris que fuir, s’échapper, était efficace. Mais si on l’empêche de fuir, sa tension émotionnelle va augmenter. Il va se sentir mal. Après un temps, peut-être une demi-heure, peut-être trois heures, il ne se sentira plus aussi mal. La tension émotionnelle arrête d’augmenter, elle se stabilise. Ensuite, elle diminue. Le chiot se sent mieux. Et pourtant, l’homme est toujours dans son environnement.
La tension émotionnelle augmente, se stabilise, puis décroît avec le temps.
La seule difficulté, pour vous comme pour moi, c’est que nous ne pouvons pas deviner en combien de temps le chien va se sentir mieux. Il faut en faire l’expérience.
Si le chien échappe au stimulus, ou si le stimulus disparaît de l’environnement avant que le chien ne se sente mieux, la prochaine fois que le chiot rencontrera le stimulus, la tension émotionnelle montera plus vite et restera élevée plus longtemps.
Pour que l’habituation prenne place, il faut que le stimulus reste présent dans l’environnement jusqu’à ce que le chien se sente mieux en sa présence (état de relâche). C’est une condition obligatoire pour effectuer cette thérapie correctement, sinon vous risquez une aggravation du problème.
A quoi reconnaît-on un état de relâche ?
Le chien perd progressivement la posture basse pour reprendre une posture neutre. Il tremble moins, il réoriente les oreilles vers l’avant, il perd son état d’hyperviligance dans lequel il guettait le stimulus comme si sa survie en dépendait. Sa queue se décolle progressivement de l’abdomen pour reprendre une position neutre.
L’immersion contrôlée est extrêmement efficace pour les chiens qui ont peur du tapage urbain, des marchés ou des gares. Il suffit de promener le chien dans l’environnement en question – en commençant par les heures de moindre affluence – le temps nécessaire pour le chien se relâche. Mais cela peut prendre 3 à 5 heures.
La désensibilisation
C’est l’habituation par exposition graduelle de l’individu, en état de relâche, à un stimulus d’intensité croissante.
Cela veut dire que l’on doit travailler :
-sur l’individu pour provoquer un état de relâche – ce qui est aisé avec des médicaments, mais aussi avec un excellent repas, avec un jeu distrayant, etc.
-sur le stimulus qui engendre la peur, en le réduisant en intensité.
Tous les stimuli ne se prêtent pas à une modulation de leur intensité.
Mais on peut travailler sur :
-l’intensité d’un son ;
-la distance par rapport à un objet, une personne ou un animal ;
-la taille d’un objet, d’une personne, d’un animal ;
-la décomposition d’un stimulus complexe en éléments plus simples ( par exemple l’orage, constitué de flashes lumineux, de bruits d’explosion, d’assombrissement du ciel et d’ionisation positive de l’air).
La règle est d’exposer le chien au stimulus quasiment imperceptible au départ. Le chien montre un petit peu de vigilance puis se relâche. Ce n’est qu’à ce moment qu’on se permet d’augmenter l’intensité du stimulus. Et ainsi de suite, incrément par incrément, tout doucement, jusqu’à obtenir l’intensité de la vie quotidienne.
Le désensibilisation peut se faire au cours d’une journée, en continu du matin au soir, mais aussi par séances de 15 minutes, 1 à 3 fois par jour. Plus souvent on réalise, plus vite se fait la thérapie.
La thérapie par le jeu
Profiter de la construction des relations sociales qui peut se produire dans un jeu à deux est un des buts de la thérapie par le jeu. L’autre intention stratégique est d’élever le niveau d’excitation et de concentration du chien pour lui permettre d’être distrait par l’environnement. C’est à ce moment que l’on introduit dans l’environnement de subtils changements, que l’animal assimilera quasiment à son insu.
Pratiquement, comment fait-on ? Prenons l’exemple d’un jeu de balle, engagé dans l’appartement. Le chien s’excite, va chercher la balle, la ramène. Une fois bien dans le jeu, une tierce personne introduit le stimulus (un bruit, une personne, un aspirateur, etc.) dans la pièce. Le jeu continue. On envoie la balle à proximité du stimulus. Quand le chien se détourne de la balle pour explorer le stimulus, le propriétaire reste indifférent et concentré sur le jeu de balle, mais ne distrait pas le chien de son exploration.
Textes extraits du livre « Mon jeune chien a des problèmes », collection « guide pas bête », du Dr vétérinaire comportementaliste et conférencier international Joel Dehasse.